Tout en griffonnant au crayon sur son cahier à dessin, le regard du lieutenant Paul Mattei, se perdait dans l’effervescence des rues de Osu, quartier cosmopolite d’Accra. Assis à l’avant de ce véhicule militaire français, il était en route vers Kotoka et laissait ses pensées vagabonder, juste rythmées par le brouhaha de cette ville habitée par presque cinq millions de personnes, et qui avait grandi trop vite. En poste depuis six mois au Ghana, en attente de sa promotion au rang de capitaine, il était détaché de son régiment des forces spéciales et affecté à la DGSE en tant qu’agent d’ambassade et de liaison, poste qu’il devait à une capacité d’analyse et de diplomatie démontrée à plusieurs reprises.Engagé à l’âge de 23 ans, à la suite d’un drame familial, il avait pendant cinq ans participé à un grand nombre de missions. Depuis, et sans en avoir une réelle conscience, il relativisait ses croyances, censées être inébranlables, de pouvoir contribuer à un monde idéal. Il ressentait, une fois de plus, un mélange de désillusion et d’impuissance le poussant vers une sorte de vide qu’il n’avait pas anticipé. Son éducation aurait dû lui apporter une vision bienveillante sur la vie, avec cette ambition de vouloir s’élever par sa propre réussite et son travail, alors que la réalité des dernières années n’avait montré que souffrance et horreur, que seule la nature humaine est capable d’engendrer. Le temps de l’introspection difficile arrivait.Tandis qu’il observait ces hommes, femmes et enfants se débattre dans les rues de cette capitale africaine brûlante, heureux de leur misère relative, il sentait que cette déception prématurée allait le conduire à s’interroger sur la pérennité de son engagement. Il était 15 h 30, il ne lui restait que trente minutes afin d’atteindre l’aéroport. Il avait reçu ses instructions le matin même du commandant Amaury de La Barre, attaché de défense et chef de la coopération de l’ambassade, avec pour ordre d’accueillir une jeune Américaine, agente du FBI, et d’assurer sa protection pendant les quelques semaines de présence, avec comme conséquence de l’éloigner de sa mission actuelle.Le Ghana en 1990 sortait d’une longue période de troubles. Le pays avait connu un putsch militaire en 1981, suivi d’une série de coups d’État avortés et de désordres civils, et travaillait à une transition politique majeure avec l’adoption d’une nouvelle constitution, pour voir l’émergence d’un gouvernement démocratique, lors des prochaines élections multipartites prévues en 1992. Ce contexte tendu et la situation sociale avaient largement rempli l’agenda du lieutenant Mattei, qui avait tenté d’expliquer son mécontentement, pour finalement accepter les ordres de son supérieur.